Passer au contenu principal

Une lettre à Aurélie Lanctôt

Chère Aurélie,

Je ne te connais pas. J'imagine que tu es une fille très intelligente. J'ai enseigné à plusieurs jeunes brillants et j'imagine que tu es une de ces personnes que les profs aiment côtoyer parce que tu leur fais penser à leur jeunesse, à leurs belles années où ils étaient fougueux et rebelles. J'imagine que tu es drôle dans un party, lorsque tu fais des montées de lait. J'imagine que tes amis te trouvent à la fois intense et attachante. Je ne te connais pas, mais j'imagine tout ça.


Une de mes anciennes étudiantes a affiché ton texte sur sa page Facebook en parlant de son désarroi face à celui-ci. J'ai lu ton texte et il m'a jetée par terre. Mais pas dans le bon sens. Dieu sait que j'en ai lu des textes, depuis le début de la grève. J'ai lu Martineau, Margaret Wente, André Pratte, des journalistes du National Post, j'ai lu des blogues et des statuts Facebook écrits par toutes sortes de personnes, mais  il n'y a pas un texte qui ne soit venu me chercher autant que le tien. Tu es aussi brillante qu'épeurante, Aurélie. Ta plume est aussi incisive que troublante et confuse, dans ce texte: http://urbania.ca/blog/auteur/6387, portant sur les bombes fumigènes qui ont été placées dans le métro de Montréal, hier.


Si tu veux mon avis, tu vas trop loin et tu n'as rien compris, surtout lorsque tu écris que: " Le brushing de Monique a été ruiné par la bruine pendant l’insupportable attente d’une navette spéciale à l’extérieur. Jacques est arrivé en retard à son rendez-vous et Marie-Jeanne a loupé la première heure de son yoga. Et que dire de Josée qui a déposé la petite Malynka-Rose [archétype de prénom fucké attribué par un early-Y à son kid]  plus d’une heure et quarante-cinq minutes en retard à la garderie? Elle en a manqué la collation du matin!  C’est inadmissible de priver Malynka-Rose de ses Fruit Loops dans l’yogourt de dix heures et quart, osti de gang de perturbateurs de l’ordre public du câlice!


Je t'imagine rire en écrivant ces phrases bien tournées. J'imagine aussi que tes amis et admirateurs ont bien ri. J'ai vu que ton texte a suscité environ 2000 "likes" dans Facebook. Désolée, mais tu ne pourras pas compter sur un "like" de ma part. 


Je me suis demandée, après avoir lu ton texte, si tu as pensé à une vraie Monique une seconde, si tu t'es mise à sa place.  Et si Monique avait été ta tante et  qu'elle avait fait une crise de panique jeudi, aurais-tu ainsi ri au sujet de son brushing? Et si Jacques était ton chum et qu'il avait perdu une partie de son salaire, car il était arrivé en retard à sa job, est-ce que ce serait vraiment si drôle que ça?  Je sais, tout cela,  pour toi, c'est rien à côté de la justice sociale et du combat contre le capitalisme sauvage, mais les gens dont tu parles n'ont rien fait de mal et ils ne méritaient pas d'être ainsi dérangés. Dérangés, oui, mais aussi (et surtout) apeurés.  C'est rien d'avoir une coiffure défaite, mais c'est grave d'avoir peur dans un pays pacifique qui a élu démocratiquement un gouvernement, aussi mauvais et corrompu soit-il. C'est grave d'avoir peur quand on ne fait que prendre le métro pour s'en aller travailler. Le problème, ce n'est pas ce qui est arrivé, mais c'est ce qui aurait pu arriver. Ce qui est grave, c'est l'installation du conditionnel dans les coeurs et les esprits: et si ça se reproduisait, est-ce que ce serait encore plus grave? Y aurait-il cette fois-là des blessés? Des morts? N'est-ce pas aussi cela, la justice sociale: que tous puissent prendre le métro sans avoir peur? C'est un peu moins idéaliste que les discours des gens que tu applaudis lors des assemblées générales, mais c'est la base de notre société qui est fondée sur le respect des droits et des libertés de chacun. 


Tu es forte Aurélie, mais tu devrais imaginer que ce ne sont pas tous les gens qui sont aussi forts que toi. Il y en a qui sont faibles, il y a en qui ont peur. Et ces gens ne sont pas que bien-pensants, ils sont des êtres humains qui ont des vraies émotions et qui ne méritent pas d'être jugés par une fille brillante qui est à mille lieux de les comprendre.


Je te souhaite d'avoir peur, une fois dans ta vie. Réellement peur. Pour toi, pour un enfant, pour un vieillard. De cette façon, tu vas peut-être descendre de ta montagne et commencer à comprendre Monique, Jacques, Marie-Jeanne, Josée et même la petite Malynka-Rose. Peut-être que tu n'aimes pas son nom, à cette petite mangeuse de yogourt, mais c'est peut-être elle qui s'occupera de toi, quand tu ne seras plus la super Aurélie. 


Tu es violente, Aurélie. Tu n'as pas peur de ta violence et tu l'assumes pleinement. Moi, ce soir, j'ai peur de toi et je voulais que tu le saches. 

Commentaires

Anonyme a dit…
Très bon text. Content de voir que je ne suis pas le seul a pensé comme ca.
Anonyme a dit…
Ta chronique m'a profondément touché. J'ai ressenti plusieurs émotions en lisant le blogue d'Aurélie, et je n'aurais pas pu mieux mettre en mots ce que j'aurais voulu lui écrire. Tu touches à tous les aspects, mais surtout à l'aspect condescendant que les révolutionnaires adoptent en parlant du "petit peuple" dans son salon. Les gens ont un droit acquis de se sentir en sécurité dans notre pays et, surtout, des terroristes n'ont aucun droit de toucher à notre sentiment de sécurité. Bravo.
Etienne Dauphin
Anonyme a dit…
Très bon texte! C'est exactement ce que je pense. Ici, la population est chanceuse. Il y a de la démocratie. Il n'y a pas de guerre. Je viens d'un pays où la guerre fut très présente dans ma vie. J'ai vécu les bombes, les explosions. J'ai vue mon grand père mourir devant moi tué par des terroristes. J'ai vécu de la vrai peur.
Les étudiants en ce moment parle de printemps québecois faisant référence au printemps arabe et au guerre civile. Par contre, ils ne savent pas ce qu'est la vrai peur, ce que les gens vient à tous les jours là-bas. Cette jeune fille est inocente face à la vie. La seule façon pour que celle-ci comprenne la peur des gens, c'est de vivre leur situation. Sinon, elle restera sans coeur.
Anonyme a dit…
Très beau texte!
M. Watt a dit…
J'aime/ Like
Stephane a dit…
Quand le sage montre l'incompétence de Charest à régler une crise, l'idiot regarde et crache sur la société étudiante qui s'impatiente.
J.r a dit…
Merci ,vous avez raison, Aurélie fait (Peur).
Anonyme a dit…
Bonjour Caro,

j'ai lu votre blog aujourd'hui. Vous avez beaucoup voyagé, vous jouissez d'une situation qui vous permet de vivre, peut-être, assez prêt de votre idéal personnel. Et je trouve ça beau, et bien. Moi aussi, je voyage pas mal. Pas autant, car je n'en ai malheureusement pas les moyens, mais la valeur d'une expérience ne se mesure pas à sa fréquence, n'est-ce pas ?

Je vois à travers vos voyages, votre désir de comprendre, de prendre le temps, d'interactions. Apprendre. Sur les autres, sur les différences, sur soi-même, surtout. Et ça vient me rejoindre, tout ça. Ça vient rejoindre beaucoup de monde, bien sûr, on ne peut être contre la vertu et cette façon de voir le voyage est très honorable.

Mais je ne comprends pas votre façon de voir la grève étudiante de l'an dernier. Je ne comprends pas cette crainte face aux termes de mademoiselle Lanctôt, non plus. Je veux dire, je comprends les termes qui choquent, je comprends que les anecdotes fictives racontées puissent, potentiellement, venir ridiculiser des tristes drames ordinaires. Une coiffure, une collation. Ce n'est pas grand chose, mais pour certain, c'est beaucoup. Et c'est là l'essentiel de mon propos.

Je trouve que les propos de Mme Lanctôt étaient très bien choisis et à travers ces mots, je n'y vois qu'une caricature de la violence étatique et médiatique qu'on eu à subir (et que subissent encore) les étudiants. Une sangria de moins et tu les paieras tes études ! Ils ont tous des téléphones intelligents, ça coûte cher ça ! Ils n'ont qu'à aller travailler, ils vont les payer leurs études ! Ce portrait dégradant, cette image d'une jeunesse irresponsable qui, pour réussir, devrait vivre dans un dépouillement total afin de prouver au Monde sa noblesse et son désir ardent de réussir n'est qu'une parade de violence !

Alors, dans la même veine, la "Monique", elle n'à qu'à se le replacer, son toupette !

J'ai l'impression, et je m'excuse de m'avancer ainsi, que les lunettes que vous portez, que votre cadre de référence personnel, est marqué d'une violence et d'une peur qui vous empêche d'embrasser l'autre. Un peu comme si les dés étaient pipées d'avance. Pourquoi tant de mépris, d'ailleurs ? Je n'ai pas senti cela à travers vos autres billets qui, pourtant, vous amène à toucher à des problèmes hautement plus complexes et controversés par rapport à des problématiques culturelles toutes aussi violentes.

Le dépaysement et le détachement culturel (l'esprit du voyage) rend-il l'analyse et la compréhension plus facile ? La question est ouverte et ne comprend aucun sous-entendus.

Et pour finir, je veux simplement signifier que je ne souhaite à personne d'avoir peur dans la vie. Personne. Et si j'étais mesquine, je pourrais même avancer que par cette dernière portion de votre texte, vous me faites peur vous-même, par vos propos violents.

-Romane

Messages les plus consultés de ce blogue

Entrer dans la lumière

A ma dernière entrée de blogue (qui ne remonte pas à plus de deux semaines: miracle!), je me disais que j'avais hâte de visiter le musée Picasso, qui pourrait me permettre de capter un peu de la lumière si absente du ciel de Paris. Laissez-moi vous dire que je n'ai pas trouvé la lumière où je pensais la trouver. Nous nous sommes levés tôt. Il faisait toujours noir quand nous sommes sortis de notre auberge. D'un pas rapide et enthousiaste, nous avons affronté le petit vent frais de décembre et marché dans les rues du Marais, mythique et charmant quartier parisien, que je ne fais que commencer à découvrir. Nous sommes arrivés à 9h15, alors que les portes de musée ouvraient à 9h30. Nous étions les premiers à entrer (gratuitement, car nous avons une carte prouvant que nous sommes profs, héhé! Car être prof, doit bien avoir quelques bénéfices marginaux, à part faire quelques fois et sans trop de remords des photocopies personnelles...) et nous étions heureux et confiants. J'

Where everybody knows your name, and they're always glad you came

Cette chanson (thème musical de l'émission Cheers) me revient souvent en tête. Elle me parle d'amitié et de familiarité réconfortante. Je songe à Cheers et je deviens un peu nostalgique, comme à chaque fois que je pense à toutes ces bonnes vieilles émissions disparues. Tabou , qui passe en rafale à TVA depuis 1 mois et que je suis avidement, finit cette semaine et Rumeurs n'est pas encore commencé, même chose pour Scrubs . Je pourrais me louer des épisodes de bonnes séries, comme Curb your Enthusiasm ou Six feet Under, mais je crois qu'il y a quelque chose du téléroman vu à horaire régulier qui me réconforte et dont j'ai profondément be soin. Je me rappelle des soirs de semaines programmés de mon enfance et de mon adolescence: lundi La croisière s'amuse, mercredi Le temps d'une paix, jeudi Pop Citrouille, Family Ties et The Cosby Show . Depuis toujours, j'aime rêver, dans le feu de l'action de mes journées occupées, au moment où je regardera