Depuis environ 30 minutes, je lis forums et blogues, au sujet de l'affaire Louis Lacroix qui est allé dire en ondes que la mort de la chanteuse Lhasa De Sela était surmédiatisée. Pourquoi parler autant d'une chanteuse que lui et ses amis ne connaissent même pas, se demande t-il.
Dans les forums, dans Facebook, sur les blogues, les esprits s'échauffent. Moi, ce débat m'attriste. En fait, il me ramène à mes années de secondaire, alors que je n'étais pas du tout populaire. A l'époque, on disait d'une personne aimée qu'elle était connue. Moi, je n'étais pas connue. Je lisais dans mon coin et passais mes midis à la bibliothèque, souvent. J'étais discrète, à mon affaire, je ne déplaçais pas d'air. Suivant la logique de M. Lacroix, si j'étais morte à cette époque, ma mort aurait moins mérité d'être évoquée que la mort de la fille la plus populaire de l'école, la plus connue. Si l'on avait parlé de moi dans le journal de l'école, on m'aurait surmédiatisée. The Winner Takes it all, chante ABBA...
Les médias servent à parler du monde dont tout le monde parle. C'est entendu. Céline pas enceinte, le chum d'Annie Villeneuve échangé, les nouvelles concernant la vie des gens connus serviront toujours à vendre des copies.
Le 1ier janvier, il y a une fille qui s'appelle Lhasa et non Karine ou Mélanie et qui quitte le monde à 37 ans. Discrète, elle n'avait pas annoncé au monde entier qu'elle était malade. Si elle avait fait la couverture de La Semaine et du 7 Jours avec sa maladie, peut-être que Louis Lacroix et ses complices l'auraient connue. Non, elle a préféré vivre son mal et sa mort entourée des siens. Je ne connais pas assez Lhasa pour en parler en profondeur, mais je sais que son timbre de voix m'a touchée, quelques fois. Assez pour que je me sente blessée lorsque Louis Lacroix a parlé d'elle avec une touche de mépris dans la voix. Je voulais lui dire: Je la connais, moi et je la trouve bonne. Je voulais aussi lui dire que j'ai aimé les hommages qui ont été écrits à son sujet dans La Presse, surtout celui de Marc Cassivi. Je trouvais que ça faisait du bien comme texte. Je me disais que les amis de la chanteuse avaient dû se sentir réconfortés par la belle plume sensible du journaliste qui avait trouvé le ton parfait, ni pompeux ni larmoyant. Je voulais lui dire, à Louis Lacroix, arrête de rire. Tu ne la connais pas, mais sa mort n'est pas moins triste pour autant. Je crois ne pas être la seule à m'être sentie ainsi.
Louis Lacroix s'est excusé publiquement. Selon moi, il ne rachète pas sa faute en disant qu'il est désolé de ne pas avoir su à quel point Lhasa était connue et aimée. Ce n'est pas grave qu'il n'aie pas su que Lhasa avait de nombreux fans. Tout le monde fait des erreurs factuelles. Ce qui est grave, c'est le mépris qu'il a démontré face aux gens qui ont été touchés par sa mort. Ce qui est grave, c'est son montage de chansons de Lhasa lors duquel sa co-animatrice doit sortir pour rire hors d'ondes. Voilà un manque de respect flagrant envers le public comptant certainement des fans de la chanteuse, envers la famille éplorée, envers les artistes qui ne font pas dans le mainstream.
Dans le Globe et le Guardian, des pages entières sont consacrées à de grands disparus. Ce ne sont pas des vedettes, juste des gens qui ont marqué de leur énergie et de leur lumière le monde dans lequel nous vivons. J'aime lire ces portraits. Je me dis à ce moment que je devrais découvrir l'oeuvre de tel architecte ou m'inspirer du courage déployé par telle travailleuse sociale qui a oeuvré dans le Grand Nord canadien. Ces personnes ne m'étaient pas connues, pourtant elles continuent de m'inspirer, même si leur passage sur la Terre est terminé. Je n'avais pas écouté Lhasa depuis un moment. Je sens que je vais me repasser The Living Road bientôt. Je souhaite à Louis Lacroix de faire de même, lorsqu'il aura fini de tenter de se déculpabiliser.
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