Saviez-vous que 95% des femmes n'iront pas au paradis, car elles sont de mauvaises personnes? C'est ce que j'ai appris, hier, lors de ma visite de Fès, de la bouche de notre guide marocain, Mohammed, un homme éduqué et intelligent. Père de trois enfants, dont deux filles, il a un diplôme en littérature américaine, parle couramment l'anglais, le français, l'espagnol, en plus de l'arabe, et est guide officiel depuis 15 ans. Cet homme, qui n'a pas du tout l'air d'un extrémiste taliban, pense que la majorité des femmes sont de mauvaise foi, qu'elles passent leur temps à potiner et qu'elles sont, bien entendu, inférieures à leurs congénères masculins.
Lorsque Mohammed s'est mis à parler de la vilenie de la plupart des femmes, Mathieu lui a dit: "Mais ce sont les hommes qui tuent et qui font la guerre". Notre guide a alors répliqué: "Hilary Clinton, elle, tue et fait la guerre". Que répondre à cela? J'étais bouche bée. Si notre gentil guide éduqué ose affirmer cela, que doivent penser ses milliers de concitoyens analphabètes et terrés dans leur profond pays, où l'on apprend rapidement qu'être une fille, ça veut dire qu'on est moins, qu'on peut moins, que l'on aspire à moins, que si l'on a la chance d'être né garçon. Vous travaillez comme une débile pour obtenir un diplôme, vous élevez seule vos trois enfants car votre mari alcolo vous a laissée, vous êtes courageuse et vous vous affirmez dans un pays qui n'écoute pas votre parole, vous êtes quand même inférieure. Vous êtes née ainsi et c'est ainsi que vous mourrez. Moins.
Simone de Beauvoir a écrit qu'on ne nait pas femme, qu'on le devient. Depuis que je suis arrivée au Maroc, il y a un peu plus d'une semaine, je suis étonnée de voir à quel point la joie de vivre des petites filles est éclatante. Elles sautillent et rient en se confiant des secrets. Elles jouent dehors. Elles ne portent ni foulard ni tchador jusqu'à 13-14 ans. Avant cela, on les laisse vivre. Les adolescentes semblent aussi pas mal libres. J'aime en voir quelques unes rouler très vite sur leur mobilette. C'est à l'âge adulte que ça semble se corser. Quand elles marchent avec des hommes, elles ne le font pas joyeusement, elles sont quelques pas derrière. Elles ont la tête et parfois tout le corps couverts. Le tchador noir est fréquent, mais ce qui l'est encore plus, c'est le caftan de ratine: une grande veste avec capuchon aux motifs de Care Bears, de coeurs mauves ou de Hello Kitty. Plusieurs semblent préoccupées. C'est étrange: les petites filles paraissent plus insouciantes et heureuses que les nôtres, mais les femmes sourient rarement. Les hommes semblent plus de bonne humeur. J'imagine que si je me savais supérieure, je n'aurais pas de misère à sourire. On dirait que de devenir une femme, ici, c'est de perdre en joie pour gagner en noirceur.
J'aurais le goût de dire aux femmes ici qu'elles ne sont pas moindres que les hommes, qu'elles sont bien sûr différentes, mais qu'elles sont égales. Qu'elles doivent le croire, car sinon elles se feront toujours rabaisser. Je suis ici depuis une semaine, qu'est-ce que je sais? Par grand chose, à part la conviction qu'hommes et femmes ont chacun leur valeur. J'ai lu un très beau texte d'Elizabeth Gilbert, cette semaine. Celle-ci dit essentiellement que les femmes sont souvent, même en Occident, leur propre obstacle. Qu'elles sentent toujours qu'elles doivent demander la permission au directeur d'école avant de décider, avant d'agir. Nous pensons cela, et pourtant nous avons été élevées de manière égalitaire. Je n'ose même pas m'imaginer ce que les filles d'ici, éduquées à se sentir inférieures, se disent. Peut-être qu'elles sont plus libres, fières et fortes que je ne le croie, qui sait? Peut-être que, cachées dans leur robe de ratine rose nanane, elles sont des lionnes qui n'ont pas dit leur dernier mot. Je n'en sais rien.
Je ne sais pas encore ce que je pense de la Charte de la laïcité péquiste, mais je sais qu'il faut continuer à éduquer les filles et les garçons de manière égalitaire. Cet humanisme vient, pour moi, avant toutes les religions du monde. Encore une fois, je me rends compte à quel point je suis chanceuse d'avoir grandi dans un pays où les hommes et les femmes sont égaux. Oui, je déplore le fait qu'on mette beaucoup plus de pression sur les épaules des filles qui se doivent d'être parfaites, physiquement. Cependant, même si je sais que je ne suis pas la plus belle, je ne me sens pas inférieure aux hommes. Je sais que les femmes sont moins payées que les hommes, mais les femmes de mon pays peuvent s'exprimer et ne sont pas confinées à leur cuisine et au ménage de leur maison.
Il ne reste que quelques jours à mon séjour en terre marocaine. Je vais continuer de manger d'excellents plats, de visiter de superbes palais et de profiter du vent frais qui souffle ici. Bien sûr, lorsque je penserai au Maroc, je songerai aux magnifiques riads dans lesquels nous avons séjourné et à ces délicieuses tajines qui nous ont réchauffés, mais je ne pourrai oublier, également, que, dans l'un des pays musulmans les plus ouverts du monde, on pense encore que je suis moindre qu'un homme.
On a en fait du chemin, les filles, mais il en reste beaucoup à parcourir.
Lorsque Mohammed s'est mis à parler de la vilenie de la plupart des femmes, Mathieu lui a dit: "Mais ce sont les hommes qui tuent et qui font la guerre". Notre guide a alors répliqué: "Hilary Clinton, elle, tue et fait la guerre". Que répondre à cela? J'étais bouche bée. Si notre gentil guide éduqué ose affirmer cela, que doivent penser ses milliers de concitoyens analphabètes et terrés dans leur profond pays, où l'on apprend rapidement qu'être une fille, ça veut dire qu'on est moins, qu'on peut moins, que l'on aspire à moins, que si l'on a la chance d'être né garçon. Vous travaillez comme une débile pour obtenir un diplôme, vous élevez seule vos trois enfants car votre mari alcolo vous a laissée, vous êtes courageuse et vous vous affirmez dans un pays qui n'écoute pas votre parole, vous êtes quand même inférieure. Vous êtes née ainsi et c'est ainsi que vous mourrez. Moins.
Simone de Beauvoir a écrit qu'on ne nait pas femme, qu'on le devient. Depuis que je suis arrivée au Maroc, il y a un peu plus d'une semaine, je suis étonnée de voir à quel point la joie de vivre des petites filles est éclatante. Elles sautillent et rient en se confiant des secrets. Elles jouent dehors. Elles ne portent ni foulard ni tchador jusqu'à 13-14 ans. Avant cela, on les laisse vivre. Les adolescentes semblent aussi pas mal libres. J'aime en voir quelques unes rouler très vite sur leur mobilette. C'est à l'âge adulte que ça semble se corser. Quand elles marchent avec des hommes, elles ne le font pas joyeusement, elles sont quelques pas derrière. Elles ont la tête et parfois tout le corps couverts. Le tchador noir est fréquent, mais ce qui l'est encore plus, c'est le caftan de ratine: une grande veste avec capuchon aux motifs de Care Bears, de coeurs mauves ou de Hello Kitty. Plusieurs semblent préoccupées. C'est étrange: les petites filles paraissent plus insouciantes et heureuses que les nôtres, mais les femmes sourient rarement. Les hommes semblent plus de bonne humeur. J'imagine que si je me savais supérieure, je n'aurais pas de misère à sourire. On dirait que de devenir une femme, ici, c'est de perdre en joie pour gagner en noirceur.
J'aurais le goût de dire aux femmes ici qu'elles ne sont pas moindres que les hommes, qu'elles sont bien sûr différentes, mais qu'elles sont égales. Qu'elles doivent le croire, car sinon elles se feront toujours rabaisser. Je suis ici depuis une semaine, qu'est-ce que je sais? Par grand chose, à part la conviction qu'hommes et femmes ont chacun leur valeur. J'ai lu un très beau texte d'Elizabeth Gilbert, cette semaine. Celle-ci dit essentiellement que les femmes sont souvent, même en Occident, leur propre obstacle. Qu'elles sentent toujours qu'elles doivent demander la permission au directeur d'école avant de décider, avant d'agir. Nous pensons cela, et pourtant nous avons été élevées de manière égalitaire. Je n'ose même pas m'imaginer ce que les filles d'ici, éduquées à se sentir inférieures, se disent. Peut-être qu'elles sont plus libres, fières et fortes que je ne le croie, qui sait? Peut-être que, cachées dans leur robe de ratine rose nanane, elles sont des lionnes qui n'ont pas dit leur dernier mot. Je n'en sais rien.
Je ne sais pas encore ce que je pense de la Charte de la laïcité péquiste, mais je sais qu'il faut continuer à éduquer les filles et les garçons de manière égalitaire. Cet humanisme vient, pour moi, avant toutes les religions du monde. Encore une fois, je me rends compte à quel point je suis chanceuse d'avoir grandi dans un pays où les hommes et les femmes sont égaux. Oui, je déplore le fait qu'on mette beaucoup plus de pression sur les épaules des filles qui se doivent d'être parfaites, physiquement. Cependant, même si je sais que je ne suis pas la plus belle, je ne me sens pas inférieure aux hommes. Je sais que les femmes sont moins payées que les hommes, mais les femmes de mon pays peuvent s'exprimer et ne sont pas confinées à leur cuisine et au ménage de leur maison.
Il ne reste que quelques jours à mon séjour en terre marocaine. Je vais continuer de manger d'excellents plats, de visiter de superbes palais et de profiter du vent frais qui souffle ici. Bien sûr, lorsque je penserai au Maroc, je songerai aux magnifiques riads dans lesquels nous avons séjourné et à ces délicieuses tajines qui nous ont réchauffés, mais je ne pourrai oublier, également, que, dans l'un des pays musulmans les plus ouverts du monde, on pense encore que je suis moindre qu'un homme.
On a en fait du chemin, les filles, mais il en reste beaucoup à parcourir.
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