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Une Alsace en pain d'épices

En 2007, j'ai eu la chance de visiter l'Alsace avec mes parents. Nous demeurions dans une belle grande maison, dans un minuscule village. Il y avait des fleurs partout et la campagne respirait le calme. Au supermarché, il n'y avait pas de musique et les gens chuchotaient. Le soir, nous buvions un petit verre de Riesling en mangeant de la baguette et du Munster. Ce sont ces souvenirs qui m'ont donné le goût de revenir ici pour passer une semaine paisible, peu avant notre retour chez nous.

Premier jour de visite à Colmar, je me sens bien. Les maisons colorées sont magnifiques, les canaux de la petite Venise charmants, la tarte flambée, mangée dans un bon resto tranquille, succulente. Il y a pas mal de touristes, mais ce n'est pas grave. L'air est doux et il fait bon visiter cette petite ville et la faire découvrir à Mathieu.

Après dîner, nous décidons de partir pour Eguishem, nommé plus beau village de France, en 2013. C'est là que le charme cesse d'opérer. Les maisons à colombage datant de trois siècles y sont toujours et les roses sont éclatantes de beauté, pourtant. Je me sens étouffée, entre les groupes d'âge d'or et le petit train qui permet aux personnes à mobilité réduite de faire le tour du village sans trop se fatiguer. Il n'y a aucun jeune à l'horizon. Partout, des gens qui prennent des photos, qui achètent des toutous de cigogne, des macarons aux bleuets, du crémant d'Alsace ou du sirop à la fraise vendu dans des bouteilles en forme de bonhomme de pain d'épices.

C'est comme si j'étais dans le pavillon de l'Alsace de Disneyworld. Je suis bel et bien dans le plus beau village de France, mais celui-ci ne semble pas habité par aucun Eguisien. Il n'y a pas de dépanneur, pas d'épicerie, pas de quincaillerie. Et c'est la même chose à Riquewihr et à Kayserberg, classés parmi les plus magnifiques de l'Hexagone, et visités les jours suivants. Partout, des madames contentes de voir des coussins ornés de petits chiens et de manger de la choucroute. Partout du sucre d'orge, des gâteaux, des friandises. Tout ce glaçage me donne le goût de vomir et même le plus sec des Riesling, servi comme il se doit très frais, bu sur une charmante terrasse, n'y change rien. Je veux me sauver. Donnez-moi une slum de Bombay, un township d'Afrique du Sud ou un bidonville d'Haïti. Un autre plus beau village de France,par contre, pas capable, désolée.

À Riquewihr, huit autobus stationnés attendent les 400 touristes qui y sont arrivés et qui en repartiront au même moment. Parce que la haute saison n'est pas encore débutée, seuls les restos de la rue principale sont ouverts. Pas moyen de trouver un endroit tranquille pour lire ou parler doucement. Un concentré de cute, de charming et de sweet envahit les villages. Que du lisse. Rien à voir avec l'Alsace que je souhaitais revoir.

Que faire? Rester enfermée dans mon appart en pleurant le pays de mes souvenirs et en me saoûlant au Pinot Gris? Passer mon temps sur Facebook à regarder la vie palpitante de mes amis défiler sous mes yeux? Développer une rage sourde qui me donnerait envie d'enfarger toutes les dames qui marchent trop lentement devant moi? Me sentir coupable d'avoir trainé Mathieu dans ce monde édulcoré fait de dentelles brodées et de choux à la crème? J'ai ressenti un étrange malaise, que je veux tenter de comprendre. D'habitude, les fleurs et le cute, j'aime ça, moi, pourtant. Il y a quelque chose qui ne marche pas, le charme n'opère pas.

Je pense qu'il est temps que mon grand voyage finisse. Je vous l'ai déjà dit, je n'en peux vraiment plus de la vie de touriste. Plus capable de voir les mêmes dames qui trainent de force leur mari, les mêmes salons de thé, les mêmes cartes postales, les mêmes bateaux-mouches remplis des mêmes Asiatiques qui ne cessent de s'extasier et de tout photographier.

J'aime voyager, mais je ne suis plus capable d'entrer dans le moule imposé par l'activité touristique. Toujours vouloir voir, goûter, visiter ce qui est typique, unique à un endroit amène tout le monde à la même place, à bord du même petit train, écoutant le même commentaire répétant à l'infini des informations dont je n'ai rien à foutre. Voir la relique de Sainte-Richarde préservée depuis le Moyen-âge dans un reliquaire d'argent? Je m'en sacre. Parlez-moi de ce que vivent vos adolescents, dans cet univers où ils sont complètement absents. Parlez-moi de vos immigrants. Où sont-ils? Parlez-moi de vous, tels que vous êtes aujourd'hui, de votre chômage et de votre peur des prix qui ne cessent d'augmenter. Vous l'aimez, vous, François Hollande? Marine Le Pen, elle vous fait peur autant qu'à moi?  Là-dessus, c'est silence radio. Les plus beaux villages de France sont restés coincés entre le Moyen-âge et la Renaissance. Il n'y a rien de cool, hip, young and fresh ici. Et c'est une vieille de 43 ans qui le dit...

Je pense que ma réaction allergène vient de ma peur de vieillir et de ne plus pouvoir, un jour, voyager de manière autonome, comme je le fais aujourd'hui. Est-ce que, lorsqu'on vieillit, on devient automatiquement amoureux des anges roses et des napperons fleuris? Je ne le crois pas, car je connais plusieurs personnes inspirantes qui ne sont pas devenues ainsi en avançant en âge. Je vois quand même ces centaines d'hommes et de femmes d'un âge vénérable et je me dis que ces personnes-là ont vécu Mai 68, la révolution sexuelle et tous les bouleversements sociaux des années 60 et 70. Et c'est là qu'elles en sont? À s'extasier en faisant un tour de calèche et en ne sortant surtout pas du circuit prescrit par leur guide, qu'elles suivent aveuglément? Vais-je être ainsi, plus tard, infantilisée et suiveuse? Plutôt rester chez moi, je crois.

Pour me sortir de ma névrose, il y a eu le petit village d'Andlau, niché entre des vignobles, mais un peu en retrait de la Route des vins et surtout, mentionné sur aucun palmarès. C'est fascinant de voir à quel point on respire en sortant du circuit touristique convenu. Il n'y a presque personne, c'est silencieux et on voit des gens de la place qui discutent doucement entre eux. Il n'y a aucun toutou de cigogne ni pâtisserie typique, mais on sent la vraie vie, celle qui dépasse, celle qui s'engueule, celle qui écoute de la musique américaine et qui mange autre chose que des tartes flambées et de la quiche lorraine. Elle est là, la clé du bonheur de la voyageuse fatiguée que je suis, sortir du circuit et me perdre dans des chemins que personne ne fréquente, les routes en pente un peu moins typiques mais ô combien plus belles.

Rassurez-vous, malgré ma petite montée de lait, mon séjour en Alsace est très agréable. La chance que nous avons, c'est de rester dans un appart qui appartient à une sympathique  famille alsacienne à Artzenheim, un minuscule village près de Colmar. Magda, la dame qui nous accueille, nous apporte des cerises et de la laitue du jardin d'une de ses amies. Des fois, elle monte jaser avec nous. C'est un peu comme si elle était une bonne voisine que nous connaissons depuis de nombreuses années. Jeudi soir, sa petite famille est venue prendre l'apéro avec nous. Simplement, nous avons discuté avec enfants et parents d'école, de religion, de conduite automobile et de toutes sortes de choses, en mangeant des chips et des pretzels. Cet aspect de notre séjour alsacien est extraordinaire.

Nous avons aussi eu la chance de diner avec notre amie Sylvie et sa soeur Josée, vendredi. Nous sommes restés attablés de 11h45 à 17h à jaser, jaser et jaser. Le Riesling était excellent et les asperges, de saison, sublimes. N'y a-t-il pas plus typique, comme activité française, que de parler des heures et des heures, autour d'un bon repas?

Nous partons pour Strasbourg demain. Mon séjour en Alsace m'apprend que je suis un peu plus rebelle que je ne le croyais. Ne vous inquiètez-pas, je n'enfargerai jamais une personne âgée qui marche trop lentement et qui s'extasie devant chaque pivoine. Je respecte ces gens qui ont travaillé toute leur vie et qui se payent aujourd'hui le luxe de suivre un tracé qui fait en sorte qu'elles n'ont plus à se préoccuper de rien. J'espère seulement avoir la santé physique et mentale nécessaires pour sortir le plus longtemps possible de ce chemin et faire ce que je veux, loin des foules et des coeurs en sucre et le plus près possible de la vie, encore plus belle lorsqu'elle est croche et raboteuse. J'espère toujours pouvoir choisir d'aller où aucun petit train ne pourra m'amener.

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