Apres un mois passe en Inde, il serait presomptueux de ma part de vous dire que je suis arrivee a saisir la substantifique moelle de ce pays a la fois poetique, perilleux et chaotique. Me voila a la fin de mon periple indien. J'ai le gout, assise dans le meilleur cafe Internet de Varanasi, de vous partager les impressions qui flottent dans ma tete, comme un nuage rose et bleute d'un tableau de Monet. Qui sait, peut-etre ces impressions se preciseront-elle, quelque part entre le Laos et la Norvege, mais pour l'instant c'est tout ce que je peux exprimer.
Je vous souhaite de visiter ce pays, si ce n'est pas deja fait. Pour ma part, je suis convaincue que les sourires des enfants nous demandant "Where do you come from?" remplaceront assez vite, dans mes souvenirs, les tours de rickshaws trop perilleux, les vendeurs harcelants et la mort gisant sur le trottoir, a 3 heures de l'apres-midi.
- Un Karma nomme Google: Nous sommes a Khajuraho, la ville ou nous avons visite de magnifiques temples millenaires ou sont sculptes des scenes tirees du Kama Sutra. Le soir de notre arrivee, nous avons du temps libre. Parfait! J'ai desesperement besoin de me trouver un ATM et mon toujours pertinent Hindustan Times. Je sors de l'hotel. Se dirige vers moi un adolescent vetu d'une chemise rose fluo et d'un veston de satin gris. Apres m'etre etonnee de sons sens de la mode, je me mets a l'ecouter me parler d'un anglais pas trop approximatif. Il me dit qu'il est surnomme Google, car son Karma est d'aider les gens a trouver ce qu'ils cherchent. Il ne veut pas d'argent. En 10 minutes, j'ai mon argent et mon journal. Je veux lui donner 10 roupies. Il refuse. Je n'en reviens pas et commence a croire que ce Google est vraiment l'exception indienne. Je me ravise lorsqu'il me dit qu'il veut que je visite la boutique de son ami "Super Mario", vendeur de pachminas. Je donne ma reponse classique: "I can't promise anything, we'll see" (me disant dans ma tete: "Est-ce que je veux voir des pachminas concus par des enfants sous-payes: certainly not"). Il ne semble pas convaincu. Le lendemain, nous visitons les temples et mon ami Google nous attend a la sortie. Il connait la suite de notre itineraire (question de karma, probablement) et me dit que j'ai certainement le temps de visiter Super Mario. Ma volonte faiblit devant son insistance et je visite le magasin. Comme prevu, Super Mario ne fait pas dans la qualite, mais plutot dans le tissu trop voyant a mon gout. Nous partons a la course et ne revoyons ni Google, ni Super Mario par la suite.
- Impression: dans une ville touristique pas trop frequentee, il est tres difficile de faire un pas sans se faire solliciter. L'offre etant beaucoup plus grande que la demande, tous s'arrachent les quelques touristes disponibles. Si je reviens en Inde un jour, je me promets de ne visiter que des petits villages non frappes du fleau ou d'apprendre a faire mon chemin sans me laisser deranger par ces vendeurs qui ont besoin de me vendre quelques chose pour survivre
- La mort en direct: Mathieu a largement aborde, dans son blogue, la question des transports. Je n'ai jamais autant sentie que je risquais ma vie que dans les transports publics indiens. Il faut le vivre pour le croire. Hier, je me suis approchee de la mort de facon encore plus directe. Nous marchions dans une rue grouillante d'activite de Varanasi, a la recherche d'un telecopieur. Je regarde avec bonheur les magnifiques fruits etales sur des charrettes centenaires. Sur le trottoir, je vois un homme immobile. Des mouches dansent autour de son corps. Il n'a pas 30 ans. Autour de lui, personne ne s'arrete. Les enfants jouent, les vendeurs vendent, les hommes boivent leur chai masala. Comme si de rien n'etait. Apres avoir abandonne notre recherche infructueuse, nous faisons demi-tour. L'homme a ete deplace. Il est abrille d'une couverture de laine et laisse dans un coin ou il gene moins. Le soir, je parle de la situation a notre guide, Animesh. Il me dit de ne pas m'inquieter. Quelqu'un s'occupera de sa cremation et ses cendres seront dispersees dans le Gange. Il est tres gentil de me rassurer ainsi, mais ce qu'on fera de ses cendres n'est pas ce qui m'inquiete le plus de la situation de cet homme. Je me demande comment on en vient a passer a cote d'un mort sans s'en preoccuper, comment cet homme est-il ainsi mort sur le trottoir? Je n'ai pas de reponse, juste un profond malaise.
- Impression: Marc, un gentil cuisinier montrealais rencontre a Orchha, a bien resume la situation en disant "Qu'ici, en Inde, la mort est omnipresente". Avec un milliards de vivants, on n'a pas le choix de rencontrer la mort plus souvent qu'ailleurs.
- Ce pays est-il developpe? Durant mes premiers jours a Delhi, je me refugiais dans le Coffee Day du Khan Market. La, je lisais des journaux indiens ecrits en anglais en buvant des lattes et en mangeant le meilleur gateau au chocolat que j'ai goute de ma vie. Dans le Times of India, on parlait de la volonte de l'Inde d'etre consideree comme une super-puissance plutot que comme un pays en voie de developpement. Au Coffee Day, je n'avais pas de difficulte a croire que ce pays etait vraiment sur le chemin de la reussite economique. Apres un mois passe ici, je ne compte plus les exemples qui me permettent de dire que je sens que l'Inde se developpe trop vite dans certains secteurs et pas assez dans d'autre. Un exemple eclairera ma pensee. On a construit une immense autoroute, pres de Jaipur. Les autos et camions y roulent a plus de 100 km/h. On a ouvert l'autoroute une semaine avant la fin des travaux. Resultat, on a neglige de concevoir des passages pour pietons. Un village est divise en 2 et des enfants doivent traverser l'autoroute pour se rendre a l'ecole. La semaine derniere, une petite fille de 6 ans s'est faite tuer lorsqu'elle tentait de traverser le "couloir de la mort" avec ses freres et soeur. Pourquoi avoir ouvert l'autoroute aux vehicules si elle n'etait pas prete? Parce qu'il faut se developper. Aller vite. Et tuer les petites filles qui ne courent pas assez vite pour eviter de se faire tuer, en allant a l'ecole le matin.
- Impression: L'Inde veut jouer dans la cour des grands. On ne peut blamer une nation de vouloir s'affimer et croitre. Mais les puissants qui dirigent le pays n'ecoutent pas les voix humaines qui pronent le developpement responsable. Pour ma part, je veux continuer a suivre l'histoire et a decouvrir comment ce pays arrivera a concilier developpement economique et respect des droits humains fondamentaux.
Je vous souhaite de visiter ce pays, si ce n'est pas deja fait. Pour ma part, je suis convaincue que les sourires des enfants nous demandant "Where do you come from?" remplaceront assez vite, dans mes souvenirs, les tours de rickshaws trop perilleux, les vendeurs harcelants et la mort gisant sur le trottoir, a 3 heures de l'apres-midi.
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