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Malala la championne


Je suis un peu malade ces jours-ci. Rien de grave. La combinaison décalage horaire-fatigue-alimentation différente-blues de voyageuse un peu flétrie fait en sorte que, même si j'ai dormi un bon 10 heures, je n'ai pas trop le goût de faire quoi que ce soit, aujourd'hui. Pendant que Mathieu est parti à l'aventure explorer des marchés flottants des environs de Bangkok, je suis restée sagement dans ma chambre. Nous avons une vieille télé et je n'espérais pas grand chose en l'allumant. Oh joie, parmi les 2 postes internationaux, il y a BBC World. Je suis donc restée scotchée à mon poste préféré durant tout l'avant-midi à entendre parler des réfugiés africains morts à Lampedusa, de la résistance des Ukrainiens à faire vacciner leurs enfants et de la victoire de la Belgique contre la Croatie au soccer. J'étais prête à fermer la télé et à lire mon roman de Jhumpa Lahiri lorsque j'ai vu la figure de cette adolescente que j'admire tant: la petite paskistanaise Malala, qui a failli périr en revenant de l'école, en octobre 2012. Elle a été atteinte à la tête par une balle tirée par un taliban. Ceux-ci n'aimaient pas qu'elle s'exprime au sujet de sa vie d'écolière, dans le blogue qu'elle tenait. C'est horrible, tirer une petite fille qui ne veut juste qu'aller à l'école. Ils l'ont tirée à la tête, le symbole est fort. Tu es une fille, tu t'exprimes, nous n'avons pas besoin de ta tête et nous allons tirer dessus: bang!

Quand la journaliste de la BBC a rappelé ces faits, je n'ai pu m'empêcher de pleurer. Pour Malala, bien sûr, mais pour toutes ces petites filles qui doivent aller à l'école secrètement ou, pire, qui doivent rester à la maison, soumises et analphabètes. Cela m'a aussi touchée d'entendre le témoignage du père de Malala. Celui-ci l'a toujours encouragée à étudier. J'ai alors pensé à tous ces hommes qui m'ont encouragée à étudier. Mon père, d'abord, puis tous ces gentils profs qui m'ont transmis leurs connaissances, sans me faire sentir que je n'étais "juste qu'une fille". J'ai aussi pensé à mes collègues qui privilégient l'intelligence et le travail acharné et qui encouragent la réussite des filles autant que celle des garçons. Je suis chanceuse d'être née au Canada. Chaque jour, je dois m'en souvenir.

Je pense qu'on avait prévu présenter ce reportage, car la jeune fille avait de bonnes chances de remporter le Nobel de la paix. Je pensais qu'elle allait remporter le Prix et j'étais déçue lorsque j'ai appris qu'elle ne l'avait pas eu. C'est très honorable de débusquer des armes chimiques, bien sûr, mais Malala méritait le prix, selon moi.

Si je prenais autant pour elle, c'est que ce qu'elle a vécu me touche comme peu d'événements n'ont pu me toucher dans ma vie. Je crois que je me suis sentie ainsi lors du massacre de la Poly, en 1989. Dans les deux cas, on s'attaquait à des filles qui étudiaient fort. Je sais que Marc Lépine était désaxé et que les talibans sont des fous furieux, mais je trouve quand même qu'il y a peu de choses plus tristes que de s'attaquer à des gens (filles ou garçons) qui ne veulent qu'étudier, afin de prendre leur place et de faire une différence dans le monde, un jour.

Dans le reportage de la BBC, un politicien pakistanais attaquait Malala en disant qu'elle donnait une mauvaise image au pays. Selon lui, elle ne doit pas parler aux médias occidentaux de ce qu'elle a vécu, car ce n'est pas représentatif de ce que les jeunes du pays vivent. À cela, la jeune activiste a répliqué, très sagement, qu'elle continuerait à se battre pour l'éducation de chaque personne, même les enfants des talibans. "The terrorists thought they would change my aims and stop my ambitions, but nothing changed in my life except this: weakness, fear and hopelessness died. Strength, power and courage was born ... I am not against anyone, neither am I here to speak in terms of personal revenge against the Taliban or any other terrorist group. I'm here to speak up for the right of education for every child. I want education for the sons and daughters of the Taliban and all terrorists and extremists.", a t-elle dit, lors de son discours aux membres de l'ONU, le jour de ses 16 ans, premier "Malala Day".

C'est la collation des grades à mon école, aujourd'hui. Je ne sais pas si plus de filles ou de garçons obtiendront leur diplôme. Ce n'est pas vraiment important. Ce qui l'est, c'est que chaque diplômé(e) soit conscient(e) de la chance qu'il ou qu'elle a de vivre dans un pays où l'on ne se fait pas tuer en revenant de l'école, car on manifeste pacifiquement pour le droit à l'éducation.

Je vais un peu mieux maintenant. J'ai écrit ce texte dans un café climatisé de Bangkok en buvant un bon latté, tranquillement. Le café ne doit pas nuire à mon bonheur, mais je pense que Malala m'a aussi donné de la force. Je vais continuer à m'en inspirer. Et, pour le Nobel, c'est pas si grave. Alice Munro a gagné celui de littérature et Jhumpa Lahiri est en lice pour le Booker. Grâce à ces victoires, espérons que l'on continuera à valoriser l'égalité du génie, de l'intelligence et de l'énergie créatrice des hommes et des femmes, partout dans le monde.

Commentaires

hiver a dit…
Les 2 derniers textes me révèlent une force calme que je ne connaissais pas... Intéressant.et une bonne dose de résilience de voyageuse aussi !

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