Ici, dans le sud de l'Inde, c'est le tout début de la saison touristique. Lorsque les vendeurs de pachminas et autres souvenirs voient arriver une douzaine d'Occidentaux, ils se disent que la manne vient de descendre du ciel et qu'enfin, ils pourront faire des affaires, pour la première fois en trois mois. Lorsqu'ils nous voient, ils nous regardent avec des yeux suppliants en nous disant "Please come into my shop, sir, madam". Lorsque nous sommes dans la même ville depuis une couple de jours, ils comprennent que nous ne leur achèteront rien et ne font que nous saluer, mais au début, ils s'essaient à nous vendre quelque chose, c'est normal.
Le jour de notre arrivée à Varkala, j'ai été marquée par un de ces vendeurs qui m'a tout de suite dit, sans que je ne lui dise quoi que ce soit: "Hello, maybe later?". Je crois qu'il est bien habitué de se faire dire cela par des touristes et qu'il a pris les devants. À mon tour je lui ai dit "Yes, maybe later", en souriant. Je me doutais bien que je ne disais pas la vérité, mais je trouvais cela plus poli que de dire "Maybe never..." (Ce que dirais probablement Math...)
À bien y penser, l'expression "Maybe later" représente bien le sentiment que je ressens face à l'Inde. Je quitte le pays aujourd'hui et je ne voudrais pas y passer une journée de plus. Les chauffeurs de tuktuk insistants m'agressent, je suis tannée des currys et de la bouffe épicée et la saleté du pays me déprime de plus en plus. Bien sûr, il y a la chaleur, mais je ne crois pas que ce soit la pire chose. On apprend à s'y habituer, à la chaleur. On reste au frais l'après-midi et on marche le matin ou le soir.
Ce à quoi je ne m'habitue pas, par contre, c'est au peu de place accordée aux femmes. Il y a plus de 500 millions de femmes dans ce pays. En presqu'un mois ici, je peux compter sur les doigts de ma main les femmes que j'ai vu travailler dans les hôtels, restos et sites touristiques. Il y en a plusieurs qui balayent les planchers, mais les hommes sont toujours là pour nous accueillir et nous servir. On voit plusieurs filles en uniforme scolaire, pourtant. Que font-elles après leurs études? Mystère... Le pays se prive assurément de forces vives et les commerces et organisations en souffrent, c'est certain. Dans plusieurs régions plus traditionnelles, avoir une fille est une tare. Les filles meurent plus, en très jeune âge, de tuberculose que les garçons, car on les soigne moins bien. Je sais cela depuis mon premier jour ici et ça me révolte. Le pays est vraiment dû pour une révolution féminine.
Je ne m'habitue pas non plus à la négligence qui est frappante partout, ici. Un tout petit exemple. Chez nous, les choses marchent, en général. On ne s'attend pas à ce qu'un moustiquaire ne soit pas bien fixé. Ici, il faut toujours vérifier, car on ne peut s'attendre à ce que les choses fonctionnent. Le soir, il faut donc toujours être vigilant et porter du chasse-moustique, car sinon on se fait piquer. Dans la rue, on peut toujours s'enfarger. Et que dire des odeurs souvent nauséabondes. Il n'y a presque pas de poubelles et plusieurs lancent leurs déchets par terre. Partout, des gens affamés quêtent et semblent souffrir. Pourtant, le pays se dit en croissance. Que font les dirigeants? J'ai lu dans le journal qu'un influent décideur voulait faire en sorte d'améliorer les toilettes avant de mettre de l'argent sur les temples. Bonne idée. Il y a tant à accomplir ici, pour faire en sorte que les gens soient bien.
Je pense que, malgré tout, si je dis "maybe later", c'est que, même si l'Inde n'est pas de tout repos, je désirerais revenir ici, un jour. Je visiterais le pays autrement, par contre. J'aimerais faire un voyage d'étude, par exemple. Étudier l'approche de Gandhi au sujet de la non-violence serait fascinant. J'aimerais aussi m'impliquer en faisant du travail communautaire. Parler aux gens, leur venir en aide, mais aussi apprendre d'eux. Pour vivre ici, cela prend beaucoup de résilience. J'aimerais comprendre les sources de cette dernière. Oui, maybe later, je reviendrais ici en hiver, lorsqu'il ferait moins chaud. Je serais moins une touriste qui arrive et part en coup de vent et plus une aidante et une étudiante qui prendrait son chai tous les matins au même endroit et qui apprendrait à connaitre le pays intimement, dans ses méandres et ses contradictions autant que dans sa lumière et ses couleurs vibrantes.
Pour l'instant, je m'envole vers d'autres pays. Il fera encore chaud, en Thaïlande, en Malaisie à Singapour et en Indonésie, mais la cuisine, les tissus, les gens et leur culture seront différents. Ça va faire du bien, je le sens, une autre sorte d'exotisme. Assise dans un bar sombre de Chennai (seul endroit pourvu de wifi que nous ayons pu trouver) dans lequel seuls des hommes vaguement alcolos viennent boire de grosses Kingfisher bien froides, je me dis que l'Inde est beaucoup plus lumineuse que ce que j'ai pu en percevoir, durant ce voyage. C'est parce que je sais cela que je vais continuer à m'y intéresser et que j'y reviendrai. Surely, later.
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