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La dune

Deuxième matin en sol namibien, nous nous levons à 4h30 (de quoi donner raison à notre gentille guide kenyanne, Rose, qui affirme souvent que "This trip is not a holiday, it's an adventure"). Nous démontons notre tente de peine et de misère puis grimpons à bord du camion à bord duquel nous parcourons les routes plus ou moins cahoteuses du sud de l'Afrique. L'objectif de ce lever hâtif? Escalader l'une des merveilles du pays: la Dune 45 (qui porte ce nom, car elle est à 45 km de la ville de Sesria et non parce qu'elle prend 45 minutes à grimper, comme je le croyais). La veille, j'avais vu, dans une boutique, des cartes postales de l'endroit qui semblait très beau, mais aussi très haut. Je me suis vite dit que je ne serais jamais capable de gravir une si haute dune. J'enseigne plein de trucs sur l'estime de soi et la confiance en soi, mais c'est souvent plus facile d'enseigner les vertus du langage intérieur positif que de le pratiquer soi-même.

Je ne suis pas une très bonne grimpeuse. Je suis capable de marcher sur un terrain plat pendant des heures, mais la moindre côte m'essouffle. Je suis comme cela depuis toujours. Qu'à cela ne tienne, je suis partie d'un bon pas. J'allais conquérir cette dune. Mon sentiment de confiance a duré... un bon 5 minutes. Rapidement, je me suis sentie ralentir. Malgré les encouragements des gens qui montaient la dune avec moi, j'ai un peu paniqué. Le pire, quand on est poche comme moi dans les sports, c'est de sentir que nous faisons ralentir les autres. Je suis toujours, à ce moment, de retour au primaire, lorsque je faisais perdre mon équipe de ballon-chasseur. Et si les gens manquaient le lever du soleil par ma faute? J'ai donc laissé passer les 5 ou 6 personnes qui me suivaient et j'ai ralenti. Je n'étais pas zen pour autant. Je me disais, en me chicanant intérieurement: "Pourquoi n'es-tu pas plus en forme? Pourquoi n'es-tu pas allée au gym avant de partir en voyage?". Je me sentais vieille, pas capable, pas bonne. La dune avait beau être magnifique, je ne la voyais pas. Je regardais par terre. J'étais aveuglée par mon discours intérieur. Ce n'est objectivement pas facile de marcher dans du sable mou, avec de grosses bottes et un caporal intérieur qui vous crie que vous devriez avancer, que les autres sont déjà arrivés et qu'eux, ils ne manqueront pas le spectacle du soleil levant, mais j'étais quand même déçue de moi et je m'en voulais de ne pas être en meilleure forme physique.

Alors que j'étais à me mépriser, j'ai regardé près de moi et j'ai vu l'un des jeunes membres de notre groupe, Ryan. Il a 19 ans et n'a raté sa qualification comme nageur sur l'équipe olympique australienne qu'en raison d'une blessure. Il était assis bien confortablement sur la dune et attendait que le soleil se lève. Je me suis dit que je pouvais bien continuer, mais si je le faisais, je ne profiterais de rien, je ne ferais que m'essouffler encore plus. J'ai donc décidé de faire comme Ryan et de m'asseoir sur la dune. Que j'ai bien fait. Une fois assise, le spectacle est devenu époustouflant. J'ai ressenti le sable sous mes pieds et j'ai apprécié sa molle douceur. Et la couleur! Près de moi, la dune était d'un brun pain d'épices scintillant. Au loin, elle était orange citrouille. J'ai regardé le soleil se lever tranquillement. On aurait même dit qu'il y avait une odeur de gingembre dans l'air. Un vrai "breathing space", comme l'est le champ à St-André, avant de monter la côte qui mène au golf, l'hiver. J'ai arrêté de me faire la morale quelques minutes et j'ai respiré. Profondément. Je me suis calmée.

Une fois que mon caporal intérieur a arrêté de me crier après, j'ai pu profiter du silence. C'était fantastique, pour 5 minutes... Des touristes allemands sont arrivés et se sont mis à parler fort et à rire en se prenant en photo mutuellement. Il n'y a rien de parfait. Au moins, j'ai pu profiter du tout petit peu de calme monastique qui m'a été offert. Je n'ai presque pas pris de photos et celles que j'ai prises ne rendent pas justice à mon expérience. Pas grave, je m'en souviendrai quand même longtemps, de cette ascension à la fois difficile et révélatrice de ce que je suis.

En descendant, un des mes compagnons de voyage m'a dit que ce que j'ai vu n'était pas moins beau que ce qu'il y avait plus loin. Je sais que d'autres ont été capables d'aller plus haut, mais j'ai fait ce que j'ai pu et c'est déjà pas mal. Je suis donc revenue enchantée de mon ascension de la Dune 45. J'ai surtout appris de celle-ci que ça ne donne rien de se flageller. Des fois, vaut mieux s'arrêter et regarder le paysage que de continuer la tête baissée en voulant être aussi bonne que les autres. C'est mon premier apprentissage de 2014 et il est de taille.

Commentaires

DenisSamson a dit…
Merci de nous livrer ce beau monologue intérieur que nous avons tout intérêt à retenir dans nos vies modernes... Enrichissant. Vraiment.
Unknown a dit…
Moi aussi, les cours d'édu étaient mon cauchemar pour les mêmes raisons. You tell a story so beautifully... always. Et, le (la?) fléau des voyages: présence des touristes américains et allemands qui parlent toujours trop et trop fort.
Hiver a dit…
Me sens bien proche de toi en lisant ton texte. Merci du partage. Toujours réconfortant de se sentir moins seule dans ce genre de vécu. C'est le cas de ledire, toi et Mathieu faites de la thérapie sur le tas comme on dit, tas de sable cette fois!
Unknown a dit…
Touchant et très juste! Merci du partage.

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