Passer au contenu principal

L'ébène et l'ivoire


Vous connaissez les paroles de la chanson: "Ebony and ivory, live together in perfect harmony, side by side on my piano, why don't we?" Paul McCartney et Stevie Wonder qui chantent ensemble au piano. L'image est belle: le Blanc et le Noir en harmonie. Égaux, ensemble. Qu'en est-il de la réalité, ici, en Afrique du Sud, où le régime de l'Apartheid a été aboli au début des années 90? Est-ce que l'ébène et l'ivoire vivent ensemble sur le même piano?

Vous savez sans doute qui est Mandela. On en a beaucoup parlé lors de sa mort, il y a quelques semaines. Vous savez aussi que le régime de l'Apartheid faisait en sorte que Blancs et Noirs ne vivaient pas comme des touches sur le même piano, mais devaient évoluer dans des orchestres complètement différents. Je ne vous raconterai pas l'Histoire. Si vous ne la connaissez pas, louez "Invictus" ou allez au cinéma voir "A Long Walk to Freedom". Ces films sont imparfaits, mais ils montrent bien ce que les gens ici ont vécu et surtout le génie de l'être humain exceptionnel qu'était Mandela.

Quand je suis arrivée ici, je m'attendais à voir une société intégrée, où Noirs et Blancs vivaient ensemble mélangés. Ce n'est pas le cas. En ce moment, je vous écris du Pulp Kitchen, situé dans le Gardens Center, centre d'achats très classe moyenne, semblable aux Galeries de Hull. Il n'y a que des Blancs comme clients et les serveurs sont presque tous de race noire. Même chose au beau petit resto près de la plage de Muizenberg où je suis allée, hier. Il y avait des milliers de personnes noires qui se baignaient dans la mer, mais, dans le resto, que des Blancs. Étrange, non? Ce qui me frappe, ici, c'est que la question de la race est toujours présente. De belles rues portent des noms anglais et néerlandais, des quartiers très riches semblent n'être habités que par des Blancs et les Townships ainsi que les quartiers populaires n'habritent que des Noirs. Il y a encore une séparation qui n'est plus légale et politique, mais qui est sociale, économique et psychologique. Je ne peux m'empêcher, ici, de tout voir en terme de race.

Mandela parlait du "Ubuntu", du vivre ensemble. Ce n'est clairement pas ce qui se passe, à Cape Town. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cet état des choses. Il y a la question économique, c'est certain. Même si mon excellent flat white ne me coûte que 2$, il est probablement trop cher pour la majorité des personnes noires qui sont, encore aujourd'hui, plus pauvres que les Blancs. Il y a sûrement aussi une question d'éducation. Les gens d'ici, Blancs et Noirs, ont été éduqués, jusqu'en 1991, à vivre séparés. On ne défait pas des années de conditionnement si vite que cela. On avait même ajouté une catégorie aux Blancs et aux Noirs: les Coloured. Il s'agit des métisses, Indiens, Arabes, enfin tous ceux dont les cheveux sont plus raides que les Noirs et dont la peau est plus basanée que celle des Blancs. On ne parle pas de melting pot ici, mais plutôt d'une société séparée, divisée par des années de politiques discriminatoires et racistes.

Je suis une prof de sciences humaines, je suis ouverte d'esprit, je voyage beaucoup, mais, je vous l'avoue, j'ai parfois peur, lorsque je marche dans la rue, de croiser des hommes noirs que l'on appelle ici des "dodgy characters". Juste en face de notre appart, il y avait un parc et, dans celui-ci, de nombreux itinérants y étaient couchés. Tous, sans exception, étaient noirs. Ici, quand je rencontre un homme noir sur la rue, j'ai un peu peur. Je ne me sens pas du tout ainsi lorsque je vois un Blanc. Je ne suis pas fière de cela. Je suis conditionnée à avoir peur de ces personnes. Ce n'est pas bien, mais c'est comme cela.

Avant d'arriver ici, en Afrique du Sud, des expatriés rencontrés à l'Ile Maurice m'ont gentiment prévenue de faire attention, que le pays était encore dangereux. Je n'ai rien vécu de fâcheux cette semaine, mais je craignais toujours de me faire voler ou de me faire attaquer. Lorsque nous avons visité le quartier populaire de Woodstock, un homme dans une auto qui ressemblait à un taxi a apostrophé Mathieu pour lui dire qu'il ne devait pas marcher dans les rues du quartier. Il était 10 h AM et nous ne nous sentions pas en danger, mais l'homme nous a dit que notre guide et nous n'étions pas de la place et que nous devions nous en aller. Nous étions les seuls Blancs. Nous sommes restés et avons poursuivi paisiblement notre marche avec notre guide Juma. Celui-ci m'a dit que l'homme n'avait pas raison, que c'est en permettant à des touristes de toutes les races de visiter le quartier que celui-ci deviendra moins dangeureux et que c'est pour cela que des artistes de plusieurs pays du monde s'y sont rendus afin de peindre des murales tous plus belles les unes que les autres.

Je suis bien d'accord avec Juma, c'est en provoquant les rencontres entre les gens des différentes races que diminuent peurs et préjugés. Lorsque nous avons visité le township de Langa, nous avons eu la chance de discuter longuement avec notre guide, une célébrité de la place qui connait et salue tout le monde. Je ne me serais pas rendue visiter les lieux seule, mais avec notre guide, j'étais OK. Grâce à elle, j'ai été en mesure de voir la lumière et la noirceur du township. Quelle joie de voir ces petites filles dansant au soleil, mais quelle tristesse, à la fois, de comprendre que plusieurs d'entre elles auront un enfant à 14 ans, puis un autre à 16, afin de recevoir une plus grande allocation familiale. Quand on se met à comprendre, on a un peu moins peur. Il faut faire attention et ne pas se promener dans la rue avec sa sacoche grande ouverte et ne pas trop marcher en ville la nuit, mais sinon, les gens d'ici sont semblables à nous. Ils sont peut-être aussi méfiants à notre égard que nous le sommes, mais la confiance viendra, si nous apprenons à mutuellement nous connaitre.

Cape Town est une très belle ville que je vous souhaite de visiter que vous soyiez noir, blanc ou coloured. Pour ma part, j'aimerais revenir et avoir moins peur. Est-ce que les gens vivent ici comme des notes d'un piano jouées en harmonie parfaite? Pas vraiment. Mandela ne serait pas nécessairement fier de nous. Mais des pas ont été faits et j'espère que nous continuerons à nous inspirer de ce grand homme pour vivre en paix et avoir moins peur, en Afrique et chez nous. Pour cela, il faut se parler, se rencontrer. C'est ce que je me propose de faire, durant le reste de mon séjour en Afrique. Je vous reparlerai de mes découvertes, c'est certain.

Commentaires

Unknown a dit…
Merci de ce beau partage. Ça me rappelle quand j'avais visité Harlem ( guetto noir de NewYork), en 1980, seule. J'ai fais un coin de rue que je me suis fais approcher par un noir qui me disait que ce serait mieux de ne pas rester ici. Quand il a vu ma détermination et que je n'avais pas peur à me promener quand même dans ce quartier, il m'a accompagné. Quelle visite!!! Je suis d,accord avec Juma. Ma visite de Harlem m'a prouvé à moi même la bonté des gens: ce noir ne me connaisait pas et a voulu me protéger, moi une blanche! C'est un des évènement touchant de ma vie que je n'oublierais jamais!
Unknown a dit…
Encore une fois, Caroline, beautifully expressed reflections et je te remercie. Et bravo aussi à Suzanne Major.

Messages les plus consultés de ce blogue

Entrer dans la lumière

A ma dernière entrée de blogue (qui ne remonte pas à plus de deux semaines: miracle!), je me disais que j'avais hâte de visiter le musée Picasso, qui pourrait me permettre de capter un peu de la lumière si absente du ciel de Paris. Laissez-moi vous dire que je n'ai pas trouvé la lumière où je pensais la trouver. Nous nous sommes levés tôt. Il faisait toujours noir quand nous sommes sortis de notre auberge. D'un pas rapide et enthousiaste, nous avons affronté le petit vent frais de décembre et marché dans les rues du Marais, mythique et charmant quartier parisien, que je ne fais que commencer à découvrir. Nous sommes arrivés à 9h15, alors que les portes de musée ouvraient à 9h30. Nous étions les premiers à entrer (gratuitement, car nous avons une carte prouvant que nous sommes profs, héhé! Car être prof, doit bien avoir quelques bénéfices marginaux, à part faire quelques fois et sans trop de remords des photocopies personnelles...) et nous étions heureux et confiants. J'

Where everybody knows your name, and they're always glad you came

Cette chanson (thème musical de l'émission Cheers) me revient souvent en tête. Elle me parle d'amitié et de familiarité réconfortante. Je songe à Cheers et je deviens un peu nostalgique, comme à chaque fois que je pense à toutes ces bonnes vieilles émissions disparues. Tabou , qui passe en rafale à TVA depuis 1 mois et que je suis avidement, finit cette semaine et Rumeurs n'est pas encore commencé, même chose pour Scrubs . Je pourrais me louer des épisodes de bonnes séries, comme Curb your Enthusiasm ou Six feet Under, mais je crois qu'il y a quelque chose du téléroman vu à horaire régulier qui me réconforte et dont j'ai profondément be soin. Je me rappelle des soirs de semaines programmés de mon enfance et de mon adolescence: lundi La croisière s'amuse, mercredi Le temps d'une paix, jeudi Pop Citrouille, Family Ties et The Cosby Show . Depuis toujours, j'aime rêver, dans le feu de l'action de mes journées occupées, au moment où je regardera

Une lettre à Aurélie Lanctôt

Chère Aurélie, Je ne te connais pas. J'imagine que tu es une fille très intelligente. J'ai enseigné à plusieurs jeunes brillants et j'imagine que tu es une de ces personnes que les profs aiment côtoyer parce que tu leur fais penser à leur jeunesse, à leurs belles années où ils étaient fougueux et rebelles. J'imagine que tu es drôle dans un party, lorsque tu fais des montées de lait. J'imagine que tes amis te trouvent à la fois intense et attachante. Je ne te connais pas, mais j'imagine tout ça. Une de mes anciennes étudiantes a affiché ton texte sur sa page Facebook en parlant de son désarroi face à celui-ci. J'ai lu ton texte et il m'a jetée par terre. Mais pas dans le bon sens. Dieu sait que j'en ai lu des textes, depuis le début de la grève. J'ai lu Martineau, Margaret Wente, André Pratte, des journalistes du National Post, j'ai lu des blogues et des statuts Facebook écrits par toutes sortes de personnes, mais  il n'y a pas un te