Passer au contenu principal

Pour supporter le difficile

Je vous écris du café Majestic, un chef-d'oeuvre d'art nouveau, à Porto. Le restaurant où je me trouve porte bien son nom: son plafond est haut, ses murs sont d'un rose vieillot et un très beau piano à queue noir semble attendre qu'un musicien habillé en smoking vienne y jouer une nocturne de Chopin. Des lustres faits de fer forgé, des anges de plâtre rieurs ainsi que d'immenses miroirs entourés de bois massif surplombent des tables couvertes de marbre. Autour de celles-ci sont assis des touristes qui font comme nous, c'est-à-dire goûter à ce qu'a dû être la Porto de la Belle époque du début du 20ième siècle, lorsque les dames venaient au Majestic prendre le high tea, à 3 heures, parées de leur plus beau chapeau. Entre une gorgée de cappucino servi dans de la fine porcelaine et une bouchée d'une exquise pâtisserie portugaise, je me dis que c'est impossible que l'endroit où je me paye la traite royalement (comme l'a fait JK Rowling au moment d'écrire Harry Potter) se trouve au coeur d'un pays miné par une crise économique sans précédent.

Pourtant, les chiffres ne mentent pas: taux de chômage de 15,6% (36 % chez les jeunes), plan d'aide de la Troïka (formée du FMI, de la Commission et de la Banque centrale européennes) et instauration d'un plan d'austérité. Ce pays est en crise, mais j'ai peine à sentir les effets de celle-ci. Vous me direz que c'est bien facile de dire cela, calée dans ma banquette de cuir du Majestic. Je vous répondrai que je ne me tiens pas qu'ici. Depuis mon arrivée au Portugal, j'ai emprunté des autoroutes très bien entretenues, j'ai marché dans des rues où de nombreux édifices sont en train d'être restaurés, je me suis promenée sur de grands boulevards où des marchands locaux semblent faire de bonnes affaires. Après un peu moins d'une semaine ici, je peux dire que je ne me sens pas dans un pays en crise. Il n'y a presque pas d'itinérance, pas trop de gens qui semblent trainer à ne rien faire dans les bars, pas trop de maisons abandonnées. Pas une fois, on m'a dit de faire attention aux pickpockets. Ce pays semble se relever.

Je me suis demandé ce qui expliquerait la résilience portugaise. Trois réponses me sont venues: le soleil, la nourriture (et le vin!) et le caractère solidaire, généreux et solide des Portugais.

Parlons température, tout d'abord. C'est la mi-mars et, toute la journée, le soleil brille. Partout, les arbres sont en fleurs. Il ne fait ni trop chaud ni trop froid. Un temps parfait pour marcher au bord de la mer. Car, en plus de jouir en moyenne de 300 jours ensoleillés par an, le Portugais, grâce aux 830 km de littoral de son pays, n'est jamais bien loin de l'Atlantique. Il y a de quoi se remonter le moral, non? Quand je vois qu'au Québec il fait encore moins 25 à la mi-mars, avec chaque jour la menace d'une tempête, je ne veux même pas m'imaginer les figures des gens si, en plus, nous étions en crise économique.

Ensuite, un pays qui compte autant d'excellentes pâtisseries que de bonnes bouteilles de vin et de porto ne peut pas aller mal. Avez-vous déjà goûté à une pastel de nata? Je crois que cette petite tartelette (mangée en quantité raisonnable, bien sûr), pourrait être prescrite à titre d'antidépresseur aux gens qui n'en peuvent plus de leur sombre existence. C'est simple, pourtant. Une pâte feuilletée, de la costarde, de la cannelle et du sucre à glacer. Là où elle est la meilleure, c'est à l'endroit où elle a été inventée, à la pâtisserie du quartier Bélem, à Lisbonne. La mienne était encore tiède lorsque je l'ai dégustée, en attendant mon tram jaune. Je ne me suis pas encore remise de cet instant d'extase. Le dessert comme consolation, ce n'est pas Bridget Jones qui a inventé cela. Du poudding chômeur des grands-mères canadiennes au plum pudding des British en passant par la crème brûlée si chère à Amélie Poulain, les pâtisseries peuvent adoucir la vie. Au Portugal, elles sont partout et elles sont belles et bonnes.

Lors de notre séjour à Lisbonne, nous avons eu l'immense privilège d'avoir une visite guidée par un ami rencontré en Indonésie, Jose. Celui-ci nous a sorti de la ville pour nous faire découvrir son coin. Après nous avoir montré le magnifique Monastère de Mafra, il m'a amenée visiter la pâtisserie locale. Grâce à ses conseils d'expert, j'ai eu la chance de goûter à la tartelette officielle de la petite ville. Un autre fantastique délice. Il me semble qu'on serait plus heureux si l'on avait un gâteau local pour chaque ville ou village. Oui, il y a bien le smoked meat de Montréal ou la queue de castor du Canal Rideau, mais c'est pas pareil. Fièrement, chaque région a développé sa spécialité locale. Les enfants mangent encore ce que leur grand-mère mangeait lorsqu'elle était petite. Il n'y a presque pas de McDo ni de Subway. On dirait que la mondialisation a oublié de s'arrêter dans les assiettes des gens. Et c'est très bien comme cela...même si, des fois, j'aimerais bien trouver un peu plus de Starbucks sur ma route.

Très généreusement, Jose nous a invité à diner dans un de ses restos de poisson préférés. Là encore, c'était exquis. Sangria au vin mousseux et aux fruits des champs, pain de Mafra tout chaud avec du beurre fondant, filet de poisson de mer ultra frais et grillé à la perfection, légumes avec juste ce qu'il faut d'huile d'olive et de sel de mer. Que de simplicité et que de délices.

À Lisbonne, nous avons découvert un petit resto, dans notre quartier. Avec notre ami François, nous n'en revenions pas: pour 1,50 €, nous avions un demi-litre de bon vin portuguais. Nous avons tellement aimé notre visite au Primavera que nous y sommes retournés. J'ai pris les deux fois la même chose: un excellent poulet à la broche. En fait, tout le monde, à part Mathieu, allergique à la volaille, commandait cette assiette. Et, au Portugal, ce n'est pas chacun pour soi. Les familles commandent des plats qu'elles partagent. Le samedi soir, chez nous, on sort avec nos amis. Au Primavera de Lisbonne, le samedi soir, c'est en famille que ça se passe. Plusieurs jeunes semblent plus intéressés à leur téléphone intelligent qu'à la présence de leur grand-mère, mais ils sont quand même présents, au restaurant, le samedi soir. Quand ça va mal, un bon poulet à la broche pas trop cher et mangé en famille, ça fait du bien, j'imagine.

Cela m'amène à parler de ma perception des Portugais. J'en connais plusieurs, au Canada. Ceux-ci possèdent toujours une très grande force de caractère et n'ont en général pas de difficulté à exprimer leurs émotions. Ça doit aider à se sortir d'une crise, d'être déterminé et d'être capable de s'exprimer. Ce que je découvre ici, c'est le sens de l'hospitalité et la générosité des Portugais. C'est quelque chose de supporter sa famille, mais c'est autre chose de venir en aide à des étrangers. Depuis que je suis arrivée ici, chaque fois que j'ai eu besoin de savoir où aller, on m'a gentiment indiqué comment trouver mon chemin, en anglais et même très souvent en français. En plus d'être solides, solidaires et généreux, les Portuguais semblent fiers de leur personne, du genre "Oui, nous sommes en crise, mais nous en avons vu d'autres, nous ne nous laisserons pas faire et nous continuerons à nous habiller chic et à aller chez la coiffeuse toutes les semaines!" Que de personnes âgées j'ai vues, sur leur 36, gravir les innombrables côtes de Porto et de Lisbonne, pour aller chercher leur pain ou boire leur petit café du matin.  Ces gens ne se laisseront jamais démolir, ça se sent.

Il ne me reste que deux jours ici. C'est si court. Je reviendrai, c'est certain. Pour l'air marin, pour le vinho verde, pour les sublimes plats de poisson, pour ressentir de nouveau la solidité et la gentillesse des habitants du Portugal. En fait, je peux apprendre de ceux-ci. Oui, il y a des côtes, mais on peut les gravir dignement pour ensuite profiter de ce que la vie peut nous offrir de mieux. Oui, il y a des moments sombres, mais pour supporter le difficile, il y a des sublimes pastéis de nata qu'on peut manger au soleil en attendant un tram, dans l'une des plus belles villes du monde qui a souffert, mais qui est en train de se relever.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Entrer dans la lumière

A ma dernière entrée de blogue (qui ne remonte pas à plus de deux semaines: miracle!), je me disais que j'avais hâte de visiter le musée Picasso, qui pourrait me permettre de capter un peu de la lumière si absente du ciel de Paris. Laissez-moi vous dire que je n'ai pas trouvé la lumière où je pensais la trouver. Nous nous sommes levés tôt. Il faisait toujours noir quand nous sommes sortis de notre auberge. D'un pas rapide et enthousiaste, nous avons affronté le petit vent frais de décembre et marché dans les rues du Marais, mythique et charmant quartier parisien, que je ne fais que commencer à découvrir. Nous sommes arrivés à 9h15, alors que les portes de musée ouvraient à 9h30. Nous étions les premiers à entrer (gratuitement, car nous avons une carte prouvant que nous sommes profs, héhé! Car être prof, doit bien avoir quelques bénéfices marginaux, à part faire quelques fois et sans trop de remords des photocopies personnelles...) et nous étions heureux et confiants. J'

Where everybody knows your name, and they're always glad you came

Cette chanson (thème musical de l'émission Cheers) me revient souvent en tête. Elle me parle d'amitié et de familiarité réconfortante. Je songe à Cheers et je deviens un peu nostalgique, comme à chaque fois que je pense à toutes ces bonnes vieilles émissions disparues. Tabou , qui passe en rafale à TVA depuis 1 mois et que je suis avidement, finit cette semaine et Rumeurs n'est pas encore commencé, même chose pour Scrubs . Je pourrais me louer des épisodes de bonnes séries, comme Curb your Enthusiasm ou Six feet Under, mais je crois qu'il y a quelque chose du téléroman vu à horaire régulier qui me réconforte et dont j'ai profondément be soin. Je me rappelle des soirs de semaines programmés de mon enfance et de mon adolescence: lundi La croisière s'amuse, mercredi Le temps d'une paix, jeudi Pop Citrouille, Family Ties et The Cosby Show . Depuis toujours, j'aime rêver, dans le feu de l'action de mes journées occupées, au moment où je regardera

Une lettre à Aurélie Lanctôt

Chère Aurélie, Je ne te connais pas. J'imagine que tu es une fille très intelligente. J'ai enseigné à plusieurs jeunes brillants et j'imagine que tu es une de ces personnes que les profs aiment côtoyer parce que tu leur fais penser à leur jeunesse, à leurs belles années où ils étaient fougueux et rebelles. J'imagine que tu es drôle dans un party, lorsque tu fais des montées de lait. J'imagine que tes amis te trouvent à la fois intense et attachante. Je ne te connais pas, mais j'imagine tout ça. Une de mes anciennes étudiantes a affiché ton texte sur sa page Facebook en parlant de son désarroi face à celui-ci. J'ai lu ton texte et il m'a jetée par terre. Mais pas dans le bon sens. Dieu sait que j'en ai lu des textes, depuis le début de la grève. J'ai lu Martineau, Margaret Wente, André Pratte, des journalistes du National Post, j'ai lu des blogues et des statuts Facebook écrits par toutes sortes de personnes, mais  il n'y a pas un te