J'ai recommencé à enseigner cette semaine. Je travaille à la même école depuis 10 ans. D'un naturel gêné, je me sens habituellement réconfortée à l'idée de revoir des étudiants que j'ai cotôyés l'année d'avant. Or, si vous avez lu un tant soit peu ce blogue, vous savez que l'an passé, j'étais partout sauf devant mon tableau. Je me promenais à dos de chameau en Inde ou à bord de trains roumains et de traversiers croates. Pendant ce temps, les élèves qui sont maintenant anciens apprenaient à se connaître et créaient des liens avec mes collègues. Je ne regrette pas mon voyage d'un iota, soyez-en convaincus. Je trouve quand même difficile de revenir à l'école et de me sentir hors du groupe, un peu comme lorsque je suis passée du primaire au secondaire.
Il m'est d'ailleurs arrivé, hier, une expérience digne d'un film de John Hugues (Breakfast Club, Pretty in Pink, etc). Je me dirige vers la cafeteria me chercher un bon café (notre école a déménagé et nous avons le choix entre pas un, ni 2 mais 5 saveurs de Colombien!!!) et vois certains étudiants de 2ième année que je reconnais de mon cours du lundi matin. Ils me sourient. Je me dis à ce moment-là que j'ai tort d'être névrosée, que je créerai des liens avec ces anciens, comme j'en ai créé de centaines d'autres avant eux. Je m'apprête à aller les voir pour jaser un peu lorsque j'entends l'un d'eux crier "Laurie, viens nous voir!!! Laurie! Laurie!" Ils ne me souriaient pas du tout à moi. Ils étaient heureux de voir Laurie, ma remplaçante, qui s'en venait juste derrière moi... Je suis passée et personne ne voulait me parler. Je suis allée acheter mon café (un bon Sumatra) et l'ai bu toute seule, en lisant mon Courrier international, qui parlait de l'exclusion des Roms, en Europe. Je me suis consolée en me disant qu'en matière d'exclusion, il y a bien pire que moi. Je suis remontée à mon bureau et ai raconté mon expérience à des collègues, qui m'ont comprise. Je ne dois pas être la seule à me sentir ainsi, en début d'année, j'imagine.
A la fin de la journée, mon ego avait pris du mieux, mais je m'interroge encore. Après 10 ans d'enseignement, pourquoi se sentir encore comme en rentrée scolaire du secondaire? Observer les autres qui rient et qui semblent se connaître depuis toujours, ne pas savoir où se placer, à qui dire bonjour, quand rire, quand parler, quand se taire... Je sais que je ne suis pas la seule à me sentir ainsi dans mon école. Je vois des jeunes raser les murs et avoir hâte que le cours débute, parce qu'ils auront enfin une occupation officielle et qu'ils ne seront pas obligés de "faire des contacts". Je crois que ma gêne m'aide à comprendre ce qu'ils vivent. Voilà au moins un avantage à tout cela.
Je sais que cette semaine est la pire. La semaine prochaine, la rentrée sera chose du passé.
En attendant, je fais ce que j'ai toujours fait pour me consoler: j'écris, je lis, je parle à des âmes sensibles et je bois du bon café Sumatra. Un jour, peut-être arriverai-je à sortir du secondaire. Je n'en sais rien. Si je le fais, je vous en reparlerai. Et je m'achèterai une robe de bal. Pour célébrer.
Commentaires
Ta plume est légère et amusante! Ça fait plaisir de te lire!
Jonathan C.
Tu écris vraiment bien! Je pense que beaucoup de prof vivent ça à la rentrée..mais, toi, au moins, tu as un bel ordi de fille!!!